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18 novembre 2017 6 18 /11 /novembre /2017 16:30

https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/mode-lecture/temps-et-identite-1197

Souvenirs de la maison du temps, Lionel Ray, Gallimard, 2017

 

 

Temps et identité

Le nouveau livre de Lionel Ray, poète consacré par les prix de poésie les plus prestigieux, ne pouvait qu’être vivement attendu par ses lecteurs fidèles, d’autant qu’excepté le bel opus « De ciel et d’ombre », illustré par Julius Baltazar pour les éditions Al Manar en 2014, il faut remonter à 2010 pour la parution, chez Gallimard, du recueil « Entre nuit et soleil ». Le poète trouvera-t-il ici une solution au paradoxe qu’indiquent ces deux derniers titres ?

 

L'incipit du dernier recueil de Lionel Ray répond déjà à la promesse du titre et on y lit des mots sur la fuite du temps qui sont récurrents dans l'ensemble de son œuvre. Ainsi :

 

Tout s'est passé là-bas à hauteur d'arbres

Les années fuyaient en tous sens

Le temps nous avait oubliés

 

L'emploi du conditionnel aux deux strophes suivantes dont le premier vers est " II aurait suffi d'un seul regard " marque, à ce sujet, le regret, pour le poète et ses proches, de ne pas avoir été assez attentifs, par la vue et par l'ouïe, aux beautés de la nature. Mais la chute de ce premier texte est une ouverture sur le mystère et la grandeur des hommes :

 

Nous n'étions que poussière d'étoiles

Rien de plus et tout cela.

 

En effet, avec le deuxième poème, Portrait, le thème de l'identité cher à l'auteur confirme, au moyen d'un questionnement, cette première définition :

 

Se pourrait-il que je ne sois qu'une ombre

Cette fumée qui s'échappe criblée de pluie

Et de lumière…

Le visiteur oublié d'une imaginaire nuit

 

Le métier de poète, on l'apprend ensuite, est hasardeux car les mots sont " d'obscurs miroirs " pour celui qui cherche " une improbable clé ".

 

L'écriture, sans complaisance puisque elle ne fait pas la part belle à la métaphore mais se contente d'images fines et de vocables simples qui, parfois, se forment pour une surprise, ravit le lecteur fidèle de Lionel Ray. Celui-ci se souvient de Comme un château défait ( 1993 ) suivi de Syllabes de sable ( 1996 ) parus dans le même volume de la collection poche Gallimard

 

Les poèmes sont écrits en vers libres de mesures variées à l'intérieur de strophes allant, à part de rares textes plus longs, du distique au septain. Une diversité qui est au service du rythme et de la musique de l'ensemble du recueil lui-même.

 

Ainsi la légèreté propre au style de Lionel Ray se ressent-elle souvent à lecture de brefs passages où les allitérations et les assonances, tout en restant discrètes, impriment au texte une subtile poésie :

 

On a battu les cartes avec des ombres

On a allumé quelques bougies

Les flammes flottent

La pluie des mots tombe de travers

 

 

La nostalgie - étymologiquement " maladie du retour " - marque la suite du recueil au moyen d'isotopies nombreuses qui expriment l'obscurité, le vide, l'absence ou la peur de l'oubli et de la mort. La mort, d'ailleurs, du Temps lui-même : " Et si c'était ici dans l'arrêt du Temps aucun bruit…C'est le silence en plein ciel et comme endormi. " Et la mort, aussi, sous forme d' l'effacement, des lieux d'antan. Il ne reste " Plus rien que le Visage pur de l'Amour ", plus que l'espoir d'une géographie nouvelle comme celle de la maison qui abrite la table de l'ami Michel Butor.

 

Mais c'est bien grâce aux mots avec lesquels le poète se cherche que pourra apparaître l'absente, des mots comme ceux des arbres qui ont " des conversations de parfums ". Car la nature est l'adjuvante. Celle, à la fois, de l'écriture et de la vie du poète.

 

Le deuxième volet - l'opus en contient cinq – exprime plus encore cet effroi devant la vieillesse et les interrogations qu'elle suscite. La solitude en est une des conséquences principales :

 

Qui me parles tout bas ( toi l'invité )  rien  ce n'est rien d'autre

Que l'ange des solitudes                        qui écoute et qui veille

Près d'une horloge                                          qui ne sonne pas

 

 

Avec le volet trois, l'écriture, de plus en plus délicate, se fait dentelle pour parler de " la cour aux tilleuls " de l'ancienne école ou pour faire le portrait d'une ombre. Le poème au titre évocateur Le jeu des jours commence par " Les derniers balbutiements des feuillages ". Puis le lecteur se réjouit encore en lisant des expressions comme " la beauté des corps des chansons "  ou " des jupes ensoleillées ". Et c'est une sorte de tresse que forment les trois temps de l'indicatif au centre d'une large tapisserie de souvenirs car " les mots d'ici / Sont vastes ". Le futur est rare mais réitère l'espoir offert par Lionel Ray dans son avant-dernier recueil Entre nuit et soleil ( 2010 ) quand il cite : " l'inaccessible est proche ", espoir vérifié parfois ici au présent :

 

Voici que s'ouvre

La porte des mots

Ce sont des façons de voyage

Au plus profond de soi

 

Rédemption donc, ainsi que renaissance, par les paroles " qui relancent le vent ". La mémoire, en effet, est source de vie : " C'est l'été la maison verte une vague éternité ".

 

Le volet suivant intitulé Le ciel bascule qui ne comprend que cinq poèmes et dont le titre annonce, sinon un tournant, du moins une mise au point, se compose de " Nouveaux poèmes de Laurent Barthélemy ". On se souvient de ce double du poète et de la volonté de celui-ci à faire entendre autant de voix possibles grâce à une écriture polyphonique et protéiforme.

 

Les titres des textes sont significatifs de cette courte pause : Fin du monde dans lequel " le silence est parfait ", Nocturne où il faut " donner un nom à la nuit "  ou bien Mère Mémoire qui rend hommage, en la personnifiant, à cette " soeur souriante mon aventure / Ma sœur amour ", cette fonction nourricière de la parole vivante du poète.

 

Le recueil s'achève avec La neige du temps, ensemble de variations sur le thème de la mémoire et de la vie future et, conjointement, sur les doutes et questions qui assaillent le poète, à " l'automne … des solitudes " de sa vie, dans sa peur de " l'aveuglement interminable de la nuit " et dans son regret de l'enfance où " la vie était simple comme un fruit familier " :

 

Même le blanc sera couleur nocturne

Nous serons solitaires parmi les ruines

Dans l'attente vaine d'un futur antérieur

Puis viennent des textes qui magnifient, à la manière de Nerval qu'aimerait réciter le Grand Meaulnes, l'imaginaire et la parole magique qui l'illustre :

 

Et l'on entend de très vieux airs

C'était hier ou autrefois

Résonance des ombres  des antiennes

Rideau des glycines et des voix.

 

Alors c'est précisément grâce à l'enfance et à ses noms que la joie, en point d'orgue, éclate dans un superbe excipit digne de la mission généreuse d'un grand poète qui a su dire, en alliant le passé à l'avenir, " Nous avons des secrets pour changer la mort " :

 

Que le soleil éclate ou chavire qu'importe

S'il m'arrive d'entendre des noms d'enfants

Juliette et Jade Edouard Apolline Aliénor

 

Qui disent la splendeur des neiges

                                         et des étés d'antan.

 

 

 

 

                                                                                    France Burghelle Rey ( septembre 2017 )

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